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Explication de texte d'Aristote la Politique


karmine

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Bonjour, Je suis en Terminale scientifique sur Rennes. Je dois faire une explication de texte sur un passage d'Aristote ; malheureusement sans avoir reçu une méthodologie précise à ce jour et en ayant vu des notions à se suivre et sans structure jusqu'alors. C'est un peu la panique car je manque de temps pour mener à bien ce DM. Alors si vous aviez la possibilité de m'aiguiller sur la méthode et ce texte ce serait tellement rassurant. J'ai eu de très bons résultats en français l'an dernier mais la démarche est ici assez différente semble-t-il. J'ai cherché un peu de matière sur ces textes d'Aristote et j'ai trouvé des références avec un texte qui n'est pas tout à fait le même que celui proposé. Merci pour votre aide !

Aristote.jpg

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  • E-Bahut

Ce texte est un magnifique exemple de généralisation abusive. Ou comment on peut prendre un raisonnement de réduction des événements à une loi scientifique (ici: la reproduction sexuée), et tenter la même réduction à d'autres phénomènes qui ne sont pas du tout de la même nature et ne répondent pas aux mêmes lois, mais pour justifier une idée qui nous arrange bien (ici, partir de la reproduction sexuée pour justifier l'esclavage: balaise!)

Que peut-on dire de ce texte (sinon qu'Aristote n'a pas beaucoup demandé leur avis à des esclaves, dans sa vie de citoyen athénien aisé? Est-ce qu'Aristote se faisait servir son vin, tailler ses outils d'écriture et faire ses courses au marché par des esclaves à qui il disait "vous voyez bien que nous avons le même but, et que nous sommes plus efficaces en me laissant aux commandes! Nous sommes comme un corps composé de plusieurs organes, vous êtes les mains, je suis la tête" ?)

 

Si ce sont les éléments de méthode qui te manquent, les voici:

 

Tu dois expliciter un texte philosophique, donc y aller de façon linéaire, phrase par phrase, pour expliquer ce qui est dit. Tu peux voir ça comme l'action de déplier un origami: le texte contient des mots lourds de sens, des phrases qui portent des raisonnements complexes, et tu vas t'arrêter en disant "ici, ce mot renvoie à telle idée, et ensuite elle servira dans cette démonstration".

Mais d'abord, comprenons le texte:

1) le thème: de quoi ça parle? Facile, je te le donne: ça parle des relations nécessaires, justifiées par la nature même des membres qui entretiennent cette relation (comme les mâles et les femelles dans le monde vivant).

2) La problématique: à quelle question répond ce texte? Je te laisse trouver, et ce sera plus facile si tu comprends d'abord quelle est...

3) La thèse: c'est le plus important, l'idée centrale du texte, la conclusion logique du raisonnement et des éventuels exemples donnés dans ce texte.

4) Le plan: c'est l'articulation du texte, les étapes logiques du raisonnement défendu par l'auteur.

(astuce super-combo: si tu fais un petit paragraphe de dix à quinze lignes dans lequel tu commences par dire quel est le thème, qu'à la phrase d'après tu énonces la problématique, et qu'ensuite tu cites la thèse, et qu'en dernier tu annonce le plan... tu as réussi une introduction de commentaire de texte tout à fait valable).

 

Si tu essaies de procéder par étape, de comprendre les étapes du raisonnement d'Aristote, ça devrait venir facilement.

NOTE: on ne demande pas aux élèves français de critiquer les textes qu'ils expliquent... Ce qui me désole, puisque la philosophie consiste en partie à soupeser, donc critiquer des raisonnements. Ici, évidemment, on a affaire à un Athénien du 4e siècle avant l'ère commune... Donc un Grec qui a grandi, a vécu et travaillé dans une société esclavagiste. Et dans les récits des voyageurs, des Aethiopiens à la peau noire jusqu'aux Etrusques d'Italie, des voisins Macédoniens jusqu'aux lointains Bactriens de l'actuel Iran, Aristote n'a entendu parler que de sociétés pratiquant l'esclavage. Donc les relations de maître à esclave lui semblaient aussi naturelles que la démocratie l'est pour nous. Cela nous choque, puisque nous sommes les descendants d'une modernité qui a fait le choix d'abolir complètement l'esclavage légal (mais qui s'accommode encore de quelques formes d'esclavage moderne: on ne proteste pas beaucoup contre une plate-forme numérique de livreurs de pizzas qui vont utiliser leurs maigres revenus pour payer l'essence de leur véhicule de livraison, ni contre une coupe sportive utilisant des stades construits par des ouvriers qui travaillaient pour qu'on leur rende leur passeport pakistanais, par exemple... et on ne se pose pas la question de savoir comment vivent les prostituées vénézuéliennes qui remplissent nos bordels, ni comment elles ont voyagé jusqu'ici...) Aristote fermait les yeux sur les contradictions de l'esclavage, comme beaucoup de nos contemporains ferment les yeux sur des stades de foot qui ont vraisemblablement tué plus d'ouvriers que toutes les pyramides d'Egypte réunies. Et si nous regardions les conditions de vie d'un esclave athénien du 4e siècle avant notre ère, qui n'a ni le droit de vote, ni celui de décider de son travail, mais qui est logé et nourri par son maître tout en étant dispensé d'impôts, et d'un livreur Uber-Eats qui doit se loger, se nourrir et payer son scooter lui-même, nous serions peut-être surpris de la réponse à la question: lequel est le plus riche des deux? Mais je m'égare, le fait est qu'Aristote procède à une rationalisation: il invente un raisonnement capable de justifier un état de fait auquel il est simplement habitué. Puisqu'il voit des relations de dépendance et de domination, il les justifie dans un texte qui est une grande foire aux amalgames: "le maître et l'esclave ont une relation naturelle nécessaire, comme le mâle et la femelle, ou le Grec et le Barbare, et d'ailleurs chez les Barbares ils mélangent tout, donc ils ont des mâles-maîtres et des esclaves-femelles". C'est le bordel, on ne sait plus si on est dans l'excellence ou la médiocrité, si on lit le plus grand penseur systématique de l'Antiquité, celui dont les oeuvres rayonneront pendant mille ans sur l'intelligence humaine, ou si on est en train d'assister à un discours d'Eric Zemmour en train de vomir ses reflux gastriques sur CNews.

La leçon à retenir de ce texte, selon moi, est que tous les philosophes, même les plus grands, ont aussi dit de formidables conneries, et qu'on doit garder son esprit critique à tout instant, même dans les pages millénaires d'un auteur qui a fait autorité plus longtemps qu'aucun autre.

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Merci merci beaucoup ! Votre retour m'éclaire ! Et ces illustrations sont très parlantes ! 

J'avais noté en effet la structure par fonctionnement limite mathématique de ce texte qui de point en point démontre que la nature crée des unions nécessaires, qui font le fondement de l'harmonie de la cité. Le thème des relations nécessaires vous dites, est-ce qu'il peut s'agir aussi d'un thème plus vaste de la nature ?

Est-ce que la problématique peut-être : comment Aristote prouve que les lois de la nature sont supérieures à tout et déterminent le rôle de chacun dans la cité, seule source d'ordre et d'harmonie ? J'ai lu pas mal de choses à côté notamment une question (en référence à Rousseau d'ailleurs) qui me semblait presque compatible ici également : existe-t-il une servitude naturelle ?

La thèse serait donc cette idée que la loi de la nature détermine la place de chacun, maitre, exclave, femme et lui accorde une fonction bien précise qui ne changera jamais et qui doit être acceptée comme telle. Ex : le maitre a l'intelligence, l'organisation, les capacités de commander.. l'exclave n'a reçu que celui d'obéir. C'est ainsi fait.

Le plan : l'union par essence est naturelle et source d'harmonie - les rôles et fonctions attribués à chaque être par nature - la supériorité légitime des grecs par rapport aux barbares

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  • E-Bahut

La problématique: existe-t-il une servitude naturelle? est viable.

Tu as la bonne thèse, à une nuance près: Aristote parle bien de la nature des individus, mais surtout de leur relation. C'est la relation maître-esclave qui est nécessaire naturellement selon lui.

Pour le plan, tu as presque tout bon, il faut rajouter un simple détail: la partie "la supériorité des Grecs sur les Barbares" est en fait une sous-partie, c'est un exemple qui illustre le raisonnement présenté plus haut, celui des rôles attribués à chacun par la nature.

Tes réponses sont prometteuses! N'hésite pas à revenir, mais je pense que tu n'aura plus forcément besoin d'aide pour les textes.

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  • 1 mois plus tard...

Merci beaucoup ! Vos éléments m'ont aidé considérablement ! Et j'ai reçu une bonne note sur ce devoir sur Aristote (15) ! Mon professeur va vite et a vraisemblablement opté pour l'enchainement de devoirs maison !

Nouveau sujet d'un philosophe peu présent sur le web : Moise Maïmonide avec un texte sur les sciences et nous n'avons pas d'éléments de cours sur ce thème. Après quelques recherches je constate que c'est un penseur qui a montré l'imbrication entre la loi divine et la recherche rationnelle. Le thème est selon moi celui de la science de l'homme pour ce philosophe pas très loin d'Aristote d'ailleurs sur le plan de la logique semble-t-il. La thèse me semblerait être la science comme source de compréhension du monde et clé de lecture de l'univers comme de la religion dans un sens rationnel (ce que dirait la dernière phrase ?). La problématique est plus difficile à définir à ce stade de réflexion. Le plan me semble débuter avec le chapitre sur la maitrise de la science pour connaitre parfaitement l'œuvre, le second semble évoquer l'observation comme serait l'empirisme par exemple qui mène à la connaissance mais a ses limites.. qu'en dites-vous ? merci pour votre aide

moise.jpg

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  • E-Bahut

Ravi de voir que j'ai pu aider, mais n'oublie pas que c'est bien ta note: c'est ton travail qu'il faut féliciter, je n'ai rien écris que tu aurais pu bêtement copier-coller pour remplir le sujet.

Pour le texte de Maïmonide: je tiens d'abord à préciser que si j'ai évidemment des connaissances en philosophie médiévale et théologie, ce n'est pas ma branche (pour une bonne raison: c'est un branche morte encombrée de problèmes insolvables et mal posés, un cul-de-sac intellectuel  dont la philosophie occidentale s'est débarrassée depuis Kant en jugeant le concept de dieu indécidable, donc inutile).

 

Ce texte a l'air d'aborder l'épistémologie (la philosophie de la connaissance qui se préoccupe de questions telles que "qu'est-ce que la vérité?", "qu'est-ce qu'une théorie scientifique?", ou encore "quelle est la différence entre croire et savoir?"), mais il parle en réalité de théologie (la philosophie religieuse chargée de résoudre les nombreuses contradictions des dogmes religieux, comme "qu'est-ce que dieu foutait avant la création?" et "si dieu est bon, pourquoi y a-t-il du mal quand même?")

Première remarque d'importance: ce texte médiéval pose déjà de nombreux problèmes de traduction! La version qu'on t'a présentée utilise un vocabulaire vieilli qui porte à confusion. Il faut donc faire une notice de traduction du texte (que ton ou ta prof aurait peut-être pu fournir... je ne sais pas)

artiste = artisan. Dans ce texte, ce n'est pas du tout une personne qui s'occupe d'expression artistique (en lisant l'exemple, on se rend compte qu'on gagnerait à remplacer "artiste" par "mécanicien" ou "horloger" pour mieux comprendre la situation). C'est ici à comprendre dans le sens d'artisan.

science = savoir ou connaissance. Ce n'est pas ici le mot "science" au sens précis de grandes théories rationnelles, mais au sens élargi de connaissance, technique, savoir, et seulement enfin de science à la fin du texte.

oeuvre = produit. C'est justement le sens artisanal du mot oeuvre qui est retenu, pas le sens artistique que la Modernité lui a donné à partir du XVIIe siècle. Maïmonide ne parle absolument pas d'un peintre ou d'un musicien qui compose une oeuvre d'art, sauf dans le sens strictement technique du terme. Il vaut mieux imaginer un menuisier en train de construite un meuble, ou un horloger en train d'ajuster un mécanisme complexe pour comprendre l'exemple de Maïmonide.

connaissance = connaissance (du point de vue du créateur) / observation (du point de vue du spectateur). Ce terme est utilisé de deux façons différentes par Maïmonide, qui joue sur la polysémie du terme, cela peut prêter à confusion. Lorsque Maïmonide parle de la connaissance de l'artisan, il parle d'une maîtrise intellectuelle des concepts qui permettent de fabriquer une horloge (par exemple), c'est donc une connaissance des lois de la mécanique et de la physique. Mais lorsqu'il parle de la "connaissance", et même de la "connaissance parfaite" de celui qui observe, il faut comprendre "observation". C'est le processus intellectuel qui est en jeu. Par exemple, si tu connais la géométrie d'Euclide et la règle de construction et de calcul d'un quadrilatère, tu peux créer tous les carrés, trapèzes et losanges que tu veux, tu possèdes la connaissance théorique suffisante pour créer cet objet: la maîtrise de la géométrie. En revanche, un enfant ignorant de la géométrie découvre une forme différente losange après rectangle, sa connaissance de ces figures dépend de ce qu'il observe, c'est une connaissance empirique (pratique, mais sans compréhension des règles intellectuelles sous-jacentes, il saura certainement reconnaître un carré et le différencier d'un trapèze, mais il sera incapable de les définir clairement).

cette boîte = L'exemple est celui d'une clepsydre, une horloge médiévale qui utilisait un système interne de poids et contrepoids, tout en agissant comme un gros sablier qui utilise l'écoulement de l'eau au lieu du sable. Mais ce système ingénieux nécessitait qu'on y remette de l'eau tous les jours à la même heure. Il a donc disparu progressivement après l'apparition des horloges à ressort, qu'on peut se contenter de remonter toutes les semaines. C'est là que la distinction entre la connaissance du créateur et la connaissance du spectateur va s'appliquer: celui qui a fabriqué la clepsydre comprend les lois de la mécanique, alors que celui qui regarde une clepsydre sous tous les angles voit sa connaissance augmenter petit à petit au fur et à mesure qu'il l'observe. S'il y passe suffisamment de temps et de réflexion, avec rigueur et logique il finira même par déduire les lois de la mécanique du fonctionnement de la clepsydre, et aura donc l'impression que "la science suit l'oeuvre."

La fin du texte est une expérience de pensée: imaginons une autre machine que la clepsydre, plus grosse et pratiquement infinie dans son étendue et sa complexité. On ne pourrait pas en comprendre les lois sous-jacentes, peu importe le temps d'observation. Et cette machine géante à la complexité infinie: c'est le cosmos, avec les mouvements réguliers et mystérieux des planètes, ainsi que toutes les choses qu'on ne comprend pas. Et enfin, il termine sa comparaison en disant qu'il y a entre nous et dieu une différence de connaissance comparable à celle qui sépare l'artisan qui a fabriqué la clepsydre, de celui qui regarde la clepsydre.

Et c'est un appel à l'humilité intellectuelle, c'est un avertissement rationnel "restez modestes dans votre approche du monde, la science ne permettra jamais de comprendre la totalité des règles du cosmos", mais exprimé de façon irrationnelle avec un appel à l'humilité devant dieu. Et je trouve ça un peu nul.

 

 

Abordons la critique du texte, pour laquelle je vais laisser de côté ma réserve et donner un avis personnel qui n'engage que moi: d'une part, cet exercice de traduction est bien pénible, non? C'est la raison pour laquelle je ne donne pas de texte médiéval ou trop exotique à mes élèves: la traduction est un obstacle. On se retrouve à faire un cours de philosophie dans lequel tous les problèmes abordés sont des problèmes de langage, alors qu'on pourrait parler plus facilement des concepts avec un texte plus proche de la langue des élèves.

Par exemple: dans ta classe, je suis sûr que certains élèves vont se planter méchamment. Certains vont croire que Maïmonide parle effectivement d'un artiste au sens moderne du terme, et vont se dire qu'il faut parler de philosophie de l'art: parce qu'ils ne connaissent pas le sens premier d'artiste: artisan, fabricant. D'autres ne vont tout simplement rien piger à cette histoire d'horloge avec des poids et de l'eau... Parce qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'une clepsydre! Et comment leur en vouloir? J'ai étudié l'histoire des idées, je lis des livres d'histoire des sciences pour le plaisir, je collectionne des gadgets mécaniques inutiles, et la dernière fois que j'ai vu une clepsydre, c'était dans un musée. C'était un objet courant à l'époque de Maïmonide, et si tout le monde ne savait pas forcément s'en servir, il y a fort à parier que tout le monde en avait déjà vu une fonctionner, au moins chez quelqu'un d'autre, c'était donc un exemple pédagogique lorsque Maïmonide a écrit ce texte au XIIe siècle, mais c'est devenu un obstacle à la compréhension d'aujourd'hui: il faut assortir ce texte d'une petite note de civilisation, par exemple "Maïmonide parle ici de la clepsydre, une horloge à eau utilisée au Moyen-Âge". Ton ou ta prof s'aventure vers une pluie de mauvaises notes, ou elle devra ajuster sa notation sur ce devoir, parce qu'il ou elle a choisit un texte qui surajoute des problèmes de langages aux problèmes conceptuels que vous deviez expliquer.

 

Ensuite, le raisonnement de Maïmonide est intéressant sur le plan épistémologique: il sépare la connaissance qui vient d'une maîtrise des règles théoriques, de la connaissance qui procède au contraire de l'observation. Ce sont deux mouvements intellectuels différents: la déduction (aller des règles comprises vers une conclusion logique et son application), et l'induction (aller de l'observation des objets vers le postulat d'une règle pour construire une théorie).

Et d'un point de vue épistémologique, son raisonnement est assez juste: peu importe le temps qu'on y consacre, on n'aura jamais de connaissance parfaite des lois de l'univers (il y a de moins en moins de mystères scientifiques au fur et à mesure que les sciences progressent et que les théories gagnent en efficacité, mais on tombe finalement sur de nouveaux phénomènes encore plus difficiles à comprendre).

Mais la conclusion théologique n'a selon moi aucun sens. Si dieu est un horloger (admettons...), cela n'explique rien du monde, puisqu'on ne sait toujours pas d'où sort dieu, ce qu'il faisait avant de fabriquer son horloge en forme de cosmos, ni pourquoi il a fabriqué un cosmos, à partir de quels éléments disponibles, et encore moins comment il a appris les règles lui permettant de fabriquer un cosmos. Cela ne nous dit rien non plus de la nature des règles: les lois du cosmos sont-elles arbitraires, choisies par dieu au moment de la création (comme tu peux choisir la puissance et la durée de cuisson de ton grille-pain si tu le construis toi-même) ? Ou est-ce que ce sont des lois nécessaires, et dieu n'aurait de toute façon pas pu faire autrement (comme tu ne peux rien changer aux principes thermiques, mécaniques et électriques exploités dans cet appareil qu'est le grille-pain) ? Cela ne répond à aucune question philosophique qu'on peut se poser sur la nature du monde et des lois de la physique.

Pire: puisque la conclusion de Maïmonide est de dire qu'on ne comprendra jamais complètement, c'est pratiquement un appel à l'inaction. Puisqu'on ne comprendra de toute façon jamais les lois du cosmos, à quoi bon? J'espère que cet extrait a été coupé trop tôt et qu'il était suivi d'une analyse de l'intérêt pratique et théorique de la science et de ses applications, parce qu'en l'état actuel la conclusion est une catastrophe: on ne comprendra jamais complètement les lois de l'univers, ça n'appartient qu'à dieu. Et c'est ce qu'on appelle le dieu de l'ignorance: lorsque dieu sert de rustine intellectuelle pour faire tenir une théorie incomplète, on dit "c'est dieu qui l'a fait". Le problème du dieu de l'ignorance, c'est qu'on peut admettre sa nécessité pour expliquer certains phénomènes tant qu'on reste ignorant. Mais à partir de Galilée, Newton et Darwin entre autres, ce dieu d'ignorance est sévèrement abîmé: plus les théories des sciences naturelles sont complètes, plus le dieu d'ignorance est inutile!*

Bref, je ne sais pas où va Maïmonide dans la suite du texte, mais on peut lire cette conclusion comme "il ne sert à rien de chercher, on ne saura jamais". Ce qui est une pensée au mieux inutile, si elle est énoncée entre savants capables de comprendre qu'il faut rester humble devant la complexité de l'univers, au pire nuisible au financement de la recherche si un politique mal intentionné s'emparait de l'argument pour arrêter de financer les travaux des savants. Je pense et j'espère que Maïmonide réservait ce texte à de futurs savants qui avaient besoin de comprendre cette leçon, tout en comprenant qu'ils ne doivent pas déblatérer sur leur impuissance intellectuelle devant les gens qui allongent de la thune pour payer leur labo.

 

 

 

*Note superflue, à lire si tu as le temps: A partir de Copernic, on a une théorie astronomique beaucoup plus complète puisque que mettre le Soleil au milieu du système simplifie le modèle des planètes. A partir de Galilée, non seulement la théorie astronomique s'enrichit de nouvelles observations (il invente la lunette astronomique et observe quatre satellites autour de Jupiter: les lunes dites "galiléennes"), mais la théorie physique fait un bond de géant puisqu'il explique la chute des corps en comprenant que tous les objets sont attirés par la même force vers le centre de la Terre, et pas seulement certains objets selon leur nature comme on le pensait avant. Et Newton enfonce le clou définitivement en réunissant les deux: sa théorie de la gravitation universelle explique à la fois la chute des corps et les mouvements célestes, c'est la même gravité qui fait tomber une pomme et contraint la Lune à tourner autour de la Terre. Mais il reste encore à comprendre comment la gravité peut agir à distance instantanément sur d'autres corps: c'est une question complexe et dieu a encore un rôle à jouer pour Newton, qui considère que les règles de l'univers ont été décidées par le créateur et qu'il se contente de les découvrir. Einstein va plus loin, et sa théorie de la relativité générale, avec le concept d'espace-temps, vient expliquer la gravité comme une propriété géométrique de l'univers, et non plus comme une force d'action à distance mystérieuse. Le dieu d'ignorance est d'abord tout-puissant lorsque la science est minimale et que ses théories sont locales. Mais plus les théories évoluent, plus elles englobent de phénomènes sous une même loi naturelle avec des prédictions efficaces, plus ce dieu est acculé dans un espace de plus en plus réduit, jusqu'à devenir parfaitement inutile à la fin du XIXe siècle (moment où Nietzsche constatera la "mort de dieu", c'est-à-dire le moment de l'histoire des idées où parler de dieu ne sert plus à rien, puisque le concept n'explique plus grand-chose). C'est la raison pour laquelle les croyants doivent déplacer leur foi ailleurs: croire en un dieu de valeurs morales par exemple, puisque dieu n'a plus de rôle à jouer comme principe d'explication du monde. Et c'est aussi la raison pour laquelle les créationnistes contemporains sont intellectuellement pathétiques, puisque toutes leurs actions consistent bêtement à contester et à freiner la recherche scientifique, dans le but grotesque de protéger leur ignorance, comme de vulgaires croyants de la Terre plate qui refusent de constater les faits, et préfèrent s'aveugler l'esprit que d'apprendre un peu d'astronomie.

Modifié par Calliclès
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Merci beaucoup pour ce long exposé illustré et détaillé, c'est éclairant et passionnant ! et aussi très dense. C'est génial de recevoir une telle aide. Je vais tacher de faire 'décanter' rapidement toutes ces informations et mettre en ordre ma pensée et surtout mon écrit.

 

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Je me permets de revenir quelques minutes vous demander votre avis final : cet auteur est malgré tout, pour son époque, le défenseur d'une lecture de la religion plus rationnelle n'est-ce pas ? il semble dire que le rationnel et le divin sont utiles l'un à l'autre. Pour autant la fin du texte rend ceci en effet moins vrai, d'autant qu'on peut se demander si il n'y a pas une analogie de l'artiste du départ avec le Dieu créateur (mais c'est peut-être trop loin ?) auquel cas nous serions, nous mortels, de simples observateurs ? et c'est encore plus réducteur. Mais il semble que cet auteur ait une écriture avec de contradictions et paradoxes donc... 

J'ai quelques question complémentaires précises doit on expliquer dans les 3 parties identifiées les traductions plus adaptées des termes ? Est-ce que le thème peut être celui assez pragmatique et centré disons sur les différents processus intellectuels de la connaissance et leur limite / cosmos ou est-ce que plus vaste avec des questions sous jacentes autour de la vérité (avec la subjectivité du scientifique dans la construction des instruments de mesure par ex ? ref Platon, ex miroir de foucault etc ? c'est trop loin ?) Avec l'ensemble de mes recherches et échanges je me trouve face à deux options : 

Un thème qui serait le rapport entre la science/ connaissance et la création de l'univers qui tient de la loi divine. Avec le problème posé : en quoi la connaissance scientifique et technique qui progresse nous approche d'une compréhension de l'univers dans les limites des capacités des créatures que nous sommes ? La thèse serait que la connaissance technique est nécessaire pour comprendre l'univers, et nous permet de progresser vers une connaissance toujours plus fine selon différents processus intellectuels déductifs ou inductifs. Elle permet à l'artisan/ingénieur/créateur de créer des ouvrages, dont l’instrument de mesure du temps en question ici (part 1) qui donneront une connaissance encore plus aboutie sur le sujet dans leur usage (avec une théorie de la connaissance qui postule le primat de l'intelligence - la science précède l'œuvre). Ces créations de l’artisan permettent à leur tour de fournir une connaissance aux observateurs dans une démarche empirique et inductive (part 2), connaissance qui présente toutefois ses limites dès lors qu'on touche à l'infini et au cosmos qui n'est pas compréhensible.(part 3)

Ou autre alternative

Sa thèse consiste à défendre le processus intellectuel qui permet l’obtention de la connaissance d’une œuvre qui est étrangère à notre propre science ou technique. Le problème auquel le philosophe entend répondre est donc le suivant : Comment peut-on justifier l’existence de Dieu scientifiquement, et pourquoi ne pouvons-nous pas acquérir une connaissance divine parfaite ? Merci encore ou votre aide.

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  • E-Bahut
Il y a 4 heures, karmine a dit :

Je me permets de revenir quelques minutes vous demander votre avis final : cet auteur est malgré tout, pour son époque, le défenseur d'une lecture de la religion plus rationnelle n'est-ce pas ? il semble dire que le rationnel et le divin sont utiles l'un à l'autre. Pour autant la fin du texte rend ceci en effet moins vrai, d'autant qu'on peut se demander si il n'y a pas une analogie de l'artiste du départ avec le Dieu créateur (mais c'est peut-être trop loin ?) auquel cas nous serions, nous mortels, de simples observateurs ? et c'est encore plus réducteur. Mais il semble que cet auteur ait une écriture avec de contradictions et paradoxes donc...

Tu ne vas pas trop loin dans l'interprétation, c'est exactement ça: il y a une analogie entre le dieu créateur et l'artisan qui a fabriqué la clepsydre (dis-le dans ton commentaire). Nous sommes des observateurs du fait que nous n'ayons pas assistés à la création du monde. Mais comme l'observateur de la clepsydre, nous essayons de comprendre comment ça marche: être un observateur ne veut pas dire être passif.

Du coup, est-ce qu'il y a une défense de l'articulation entre raison et religion? Oui. Mais c'est un exercice ancien: les Grecs écrivaient déjà des traités de théologie pour essayer d'expliquer le comportement de Zeus (et ça leur posait de nombreux problèmes intellectuels, de devoir justifier Zeus comme la volonté divine suprême et juste, alors que la moitié de leur mythologie le décrit comme un obsédé sexuel qui court après tout ce qui bouge).

 

Il y a 4 heures, karmine a dit :

J'ai quelques question complémentaires précises doit on expliquer dans les 3 parties identifiées les traductions plus adaptées des termes ? Est-ce que le thème peut être celui assez pragmatique et centré disons sur les différents processus intellectuels de la connaissance et leur limite / cosmos ou est-ce que plus vaste avec des questions sous jacentes autour de la vérité (avec la subjectivité du scientifique dans la construction des instruments de mesure par ex ? ref Platon, ex miroir de foucault etc ? c'est trop loin ?)

Pas besoin d'aller dans le détail à ce point, c'est une réflexion générale sur la démarche intellectuelle: déduction pour le créateur, induction pour l'observateur. Tu peux t'en tenir là, tout autre exemple sortirait du texte et de son interprétation rigoureuse.

Il y a 4 heures, karmine a dit :

Avec l'ensemble de mes recherches et échanges je me trouve face à deux options : 

Un thème qui serait le rapport entre la science/ connaissance et la création de l'univers qui tient de la loi divine. Avec le problème posé : en quoi la connaissance scientifique et technique qui progresse nous approche d'une compréhension de l'univers dans les limites des capacités des créatures que nous sommes ? La thèse serait que la connaissance technique est nécessaire pour comprendre l'univers, et nous permet de progresser vers une connaissance toujours plus fine selon différents processus intellectuels déductifs ou inductifs. Elle permet à l'artisan/ingénieur/créateur de créer des ouvrages, dont l’instrument de mesure du temps en question ici (part 1) qui donneront une connaissance encore plus aboutie sur le sujet dans leur usage (avec une théorie de la connaissance qui postule le primat de l'intelligence - la science précède l'œuvre). Ces créations de l’artisan permettent à leur tour de fournir une connaissance aux observateurs dans une démarche empirique et inductive (part 2), connaissance qui présente toutefois ses limites dès lors qu'on touche à l'infini et au cosmos qui n'est pas compréhensible.(part 3)

Ou autre alternative

Sa thèse consiste à défendre le processus intellectuel qui permet l’obtention de la connaissance d’une œuvre qui est étrangère à notre propre science ou technique. Le problème auquel le philosophe entend répondre est donc le suivant : Comment peut-on justifier l’existence de Dieu scientifiquement, et pourquoi ne pouvons-nous pas acquérir une connaissance divine parfaite ? Merci encore ou votre aide.

C'est la seconde alternative qui est la plus simple et la plus élégante.

Avec toutefois une erreur dans le problème: ce n'est pas "justifier l'existence de dieu scientifiquement" qui intéresse Maïmonide, mais pourquoi nous ne pouvons pas acquérir une connaissance divine parfaite.

Car depuis le début, Maïmonide considère l'existence de dieu comme évidente, c'est une prémisse de son raisonnement et il ne va pas revenir dessus dans ce texte.

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Merci merci ! C'est excellent ! J'ai bien avancé avec votre aide précieuse. Je note bien de ne pas ajouter d'exemples sur la vérité etc.. D'une façon générale on ne peut donc pas illustrer le propos d'une explication de texte par une illustration autre que celle du texte ?

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  • E-Bahut
Le 16/11/2022 à 18:01, karmine a dit :

Merci merci ! C'est excellent ! J'ai bien avancé avec votre aide précieuse. Je note bien de ne pas ajouter d'exemples sur la vérité etc.. D'une façon générale on ne peut donc pas illustrer le propos d'une explication de texte par une illustration autre que celle du texte ?

On peut mais c'est un exercice difficile. Mieux vaut rester sur le texte autant que tu peux pour éviter les erreurs d'interprétation. Ensuite, il faut apprendre à critiquer.

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  • 3 semaines plus tard...

Bonjour Calliclés, Merci pour ce retour sur les exemples. Je le note pour la suite ! Excellente note sur ce dernier devoir ! Nous passons cette fois à l'exercice de la dissertation avec un sujet qui pour l'instant me laisse un peu pensive : le monde des mots peut-il substituer au monde des choses ? Je vais faire mes recherches d'idées et de références pour aborder ce sujet, il faut que cela décante un peu, mais je suis vraiment preneuse de vos conseils concernant la méthode de base à adopter. Merci.

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