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1. Les déviances sont définies par des normes

La catégorie " la déviance " est-elle suffisamment homogène pour signifier quelque chose en elle-même ? On peut en douter. Certes, chacun peut immédiatement citer une liste de comportements déviants. Pourtant il n'y a pas de rapport direct entre le vol, l’homicide, le manquement à la politesse ou aux convenances, la conduite dangereuse, l'habillement excentrique et la consommation de drogue. De plus, ce qui est aujourd’hui regardé comme déviant a pu, à un autre moment de l’histoire, ne pas l’être (encadré 1). En réalité, le point commun de tous ces comportements est indirect : c’est le fait qu’ils sont tous condamnés par différentes normes sociales, reconnues ou pas par le droit, partagées à des degrés divers dans les différents groupes sociaux qui composent une société à un moment donné de son histoire (2).

Cette définition de la déviance par son rapport aux normes donne au sujet sa véritable ampleur. En effet, pratiquement toute notre vie sociale est organisée par des normes. Nous apercevons aisément celles qui sont le plus contraignantes, celles dont l’infraction entraîne une sanction juridique. Mais la définition du Bien et du Mal n’est pas le monopole du droit. Il existe une foultitude de normes sociales non moins impératives quoique non juridiques. Les normes familiales peuvent s’imposer par exemple aux enfants sans même avoir jamais été énoncées. Et leur non respect peut entraîner des sanctions physiques mais aussi psychiques : la plus banale est sans doute le sentiment de culpabilité. De même, dans la vie sociale de tous les jours et dans la vie professionnelle, il existe des choses qui " se font " et d’autres qui " ne se font pas " dont la sanction peut être autant voire plus dissuasive encore. La crainte de perdre sa réputation (donc la confiance de ses clients, de ses collègues ou de ses électeurs) peut par exemple être une menace beaucoup plus efficace que la sanction juridique. Enfin, il existe une infinité de normes sociales moins contraignantes mais qui nous conditionnent autant sinon davantage. En effet, selon la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous adaptons consciemment ou inconsciemment notre façon de parler et de nous vêtir, nous contrôlons différemment nos gestes, nous exprimons ou nous n’exprimons pas tel ou tel sentiment (la joie, la colère, la surprise, le désir). Selon que nous sommes à une réception officielle ou à un déjeuner en famille, ou encore avec des camarades d’enfance, nous n’avons pas exactement le même comportement parce que les normes de ces groupes et de ces situations sont différentes.

Encadré : la relativité historique des normes

Les mentalités évoluent, chacun le sait bien. Les modifications de normes dues aux progrès techniques ou à l’évolution des croyances religieuses et politiques proclamées sont flagrantes. Mais derrière ces processus très généraux, on peut apercevoir des évolutions qui touchent à des comportements que nos ancêtres pouvaient croire " naturels " et qui pourtant se révèlent être des normes qui ne s’imposaient à eux qu’en vertu d’une représentation construite par la société. Ainsi, dans nos sociétés occidentales, il y a encore seulement un siècle ou deux, la remise en cause de la suprématie sociale, morale, juridique (propriété, mariage, succession, etc.) et intellectuelle des hommes sur les femmes était une déviance intolérable tandis que c'est aujourd'hui son affirmation qui l'est. L’avortement était un crime jugé particulièrement immoral et sévèrement puni tandis que l'on réprime aujourd'hui les catholiques intégristes qui contestent la liberté d'avorter (3). L’homosexualité était considérée comme une perversion haïssable et méritant de sévères châtiments tandis que c'est aujourd'hui une revendication identitaire largement perçue comme légitime et sans doute bientôt reconnue par le droit (4). La mendicité était un délit qui pouvait conduire un clochard aux travaux forcés à vie dans un bagne tandis qu'elle fait aujourd'hui l'objet d'une compassion et d'une prise en charge croissantes (5). L’obéissance des enfants était une obligation indiscutable et les punitions corporelles la sanctionnaient légitimement en famille comme à l’école tandis que le non respect du " droit de l'enfant " est aujourd'hui regardé comme un abus d'autorité odieux (6).

Inversement, l’évolution des sociétés modernes conduit à pénaliser des comportements jadis tolérés voire considérés comme normaux : certaines formes de corruption, certaines formes d’atteinte à l’environnement (chasse, pollution automobile, pollution agricole), certaines formes de violences " morales " (le harcèlement sexuel simplement oral, le propos raciste, et peut-être bientôt ce que les Américains appellent le political correctness, cette sanction informelle de l’individu qui prononce certains mots tabous ou qui ne prononce pas certaines formules rituelles s’agissant du respect des femmes, des minorités raciales, de certaines règles de politesse, etc. [7]).

Enfin, l’évolution des normes sanitaires conduit aussi à pénaliser certaines pratiques très ordinairement répandues comme l’acte de fumer. Aujourd’hui, l’individu qui allume une cigarette dans un hall de gare est un délinquant puisqu'il enfreint la loi. Il y a à peine quelques années, dans la même situation, il était un individu parfaitement normal. Certes, la mise en pratique de cette interdiction est aujourd'hui très négociée et l'infracteur est simplement prié d'éteindre sa cigarette, mais il est probable que, dans vingt ou trente ans, la sanction automatique aura remplacé la recommandation bienveillante de la même façon que notre société réprime aujourd'hui fortement la conduite en état d'ébriété qu'elle tolérait jadis (8).

2. Reconnaissance et stigmatisation des déviances

Dans les années 1950, Edwin Lemert a donné à l’étude de la déviance un programme comportant d’une part l’étude de la déviance primaire (la transgression de la norme), d’autre part l’étude de la déviance secondaire (la reconnaissance et la qualification de cette déviance par une instance de contrôle social). C'est à ce deuxième volet que se sont consacrés les sociologues américains dits de la " seconde école de Chicago " ou encore de la " théorie de la stigmatisation " (outre Lemert, il s’agit en particulier de Erving Goffman et Howard Becker (9), ainsi que de Aaron Cicourel et de Harold Garfinkel). Ils ont montré qu’une déviance reconnue comme telle suppose un processus de désignation ou de stigmatisation. Ce processus peut se faire de façon formelle ou informelle. Le simple détournement du regard ou du corps constitue une stigmatisation. Dès lors, le contrôle de son image est un enjeu crucial et Goffman attire notre attention sur les innombrables adaptations que nous réalisons pour nous conformer à ce que les personnes avec lesquelles nous interagissons attendent de nous. Selon ces sociologues, la déviance n’est ainsi qu’un rôle endossé par celui qui est victime de la stigmatisation des autres. Et, s’il persiste, ce rôle peut entraîner une modification de la personnalité de l’individu ainsi qu’une modification de ses relations sociales. Il entre alors progressivement dans une " carrière " de déviant. Les chercheurs ont ainsi décrit l’entrée dans les carrières de délinquants, de toxicomanes, de prostituées, de malades ou d’handicapés mentaux, de sans-abri et plus simplement d’assistés sociaux. En France, ces propositions ont eu beaucoup d'influence à partir des années 1970 et les sociologues se sont également intéressés avant tout à la stigmatisation et au contrôle social des déviances (10). De sorte que toutes ces recherches sociologiques ont laissé largement ouverte la première partie du programme de Lemert : la déviance primaire. En effet, s’ils expliquent bien comment une transgression est repérée, stigmatisée par la société et intériorisée par l’individu déviant lui-même, ces sociologues ne disent généralement pas pourquoi, à tel moment, dans telles conditions, tel individu ne présentant aucune singularité physique a transgressé une norme. Il faut alors se tourner vers les théories de la transgression qui ont une longue histoire.

va sur laurent.mucchielli.free.fr/deviance.htm tu y trouveras surement encore quelques infos...

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