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<h3 class="maintitle">Albert Camus</h3>

Albert Camus est né à Mondovi (Algérie) le 7 novembre 1913 ; il est mort près de Villeblevin (Yonne) le 4 janvier 1960 d'un accident d'automobile. Son père, ouvrier agricole, fut tué en 1914 à la guerre. Sa mère, d'origine espagnole, vient alors habiter un quartier populaire d'Alger. En 1918, il entre à l'école communale. Il obtient une bourse et fréquente le lycée d'Alger jusqu'en 1930, année où il subit les premières atteintes de la tuberculose. Il fait des études de philosophie sous la direction de Jean Grenier qui restera son ami. Il se marie en 1933, divorce en 1935, date à laquelle il adhère au parti communiste, dont les prises de position envers les Arabes provoquent sa démission en 1936. Il fonde le “Théâtre du Travail”, participe à la rédaction collective d'une pièce, Révolte dans les Asturies et commence à écrire L'Envers et l'endroit. Il se livre à des métiers divers afin de poursuivre ses études. Il présente un diplôme d'études supérieures sur “Les rapports de l'hellénisme et du christianisme à travers les œuvres de Plotin et de saint Augustin”. Il lit Epictète, Pascal, Kierkegaard, Malraux, Montherlant. Il parcourt l'Algérie avec la troupe théâtrale de Radio-Alger, adapte Le Temps du mépris de Malraux, Le Retour de l'enfant prodigue de Gide, le Prométhée d'Eschyle et joue lui-même diverses pièces dont une adaptation des Frères Karamazov de Dostoïevski. Il visite l'Espagne, l'Italie, la Tchécoslovaquie, lit Albert Sorel, Nietzsche et Spengler. En 1938, journaliste à L'Alger Républicain, il commence à écrire Caligula, publie Noces et pense déjà à l'Etranger et au Mythe de Sisyphe. En 1939, il enquête sur la Kabylie et s'attire l'animosité du Gouvernement Général. Il se remarie en 1940, vient à Paris, fait du journalisme, retourne en Algérie et revient en France en 1942. Il lit Tolstoï, Marc Aurèle, Vigny, rédige La Peste au moment où paraît L'Etranger. Il entre dans le mouvement de résistance “Combat” qui le délègue à Paris en 1943. A la Libération, il devient rédacteur en chef du journal Combat. En 1944, il fait représenter Le Malentendu – puis Caligula en 1945, L'Etat de siège en 1948 et Les Justes en 1950. En 1946, il parcourt les Etats-Unis et en 1947 il publie La Peste. Il lit Simone Weil et s'élève dans Combat contre la répression de la révolte malgache, signe en 1949 un appel en faveur des communistes grecs condamné à mort. Il voyage en Amérique du Sud. Il fait paraître l'Homme révolté (1951), qui sera suivi d'un débat avec Jean-Paul Sartre, cause de leur rupture. En 1952, il démissionne de l'UNESCO qui a admis l'Espagne franquiste en son sein. En juin 1953, il se prononce en faveur des ouvriers tués au cours des émeutes de Berlin-Est. En 1955, il voyage en Grèce et est amené à s'entremettre dans le drame de l'Algérie. Il lance à Alger, devant les membres des différentes communautés musulmanes, un appel à la trêve. Il publie La Chute en 1956, travaille à la mise en scène de Requiem pour une nonne tiré d'un roman de Faulkner, s'élève contre la répression des insurgés hongrois par les Soviétiques. En 1957, il publie un recueil de nouvelles, L'Exil et le royaume, puis Réflexions sur la peine de mort. Il reçoit la même année le Prix Nobel de Littérature. Il meurt en 1960 dans un accident de voiture.

“Admirable conjonction d'une personne, d'une action et d'une œuvre.” Ainsi Jean-Paul Sartre définit-il les raisons de l'influence qu'exerça Albert Camus sur un public fervent. Sa seule biographie permet déjà de remarquer qu'il prit toujours la position qui s'imposait quand l'histoire soulevait une question morale d'importance. L'œuvre semble capable, elle aussi, d'inspirer des choix nouveaux comme l'indiquent des sondages renouvelés auprès de la jeunesse, qui continue à la placer très haut. Ce qui fait sa force, c'est sa flexibilité. Ce n'est pas une philosophie en forme que l'on trouve dans ces livres. C'est une pensée qui s'articule autour de mots clefs – absurde, révolte – et trouve sa meilleure expression dans le roman, le théâtre et l'essai.

De l'aveu même de Camus, cette œuvre comprend deux cycles. A celui de l'absurde appartiennent Caligula, L'Etranger, Le Mythe de Sisyphe et Le Malentendu, ce qui couvre les livres parus entre 1942 et 1944. Au cycle de la révolte correspondent La Peste, L'Etat de Siège, Les Justes et L'Homme révolté, donc les livres publiés entre 1947 et 1950. Classement qui laisse de côté les œuvres de jeunesse et celles de la maturité, notamment La Chute, qui annonçait un nouveau départ.

Dans le deuxième Cahier Albert Camus, Paul Viallaneix souligne que deux élément ont joué très tôt un rôle de “valeurs sensibles” : la pauvreté et le soleil. Mais déjà dans Noces apparaît la présence secrète de la mort qui menace le bonheur physique. “Tout ce qui exalte la vie accroît en même temps son absurdité.” L'absurde se présente sous deux aspects : discordance de l'homme et du monde extérieur – désaccord de l'homme avec lui-même. L'Etranger concrétise l'absurdité considérée sous ces deux angles. C'est dans une sorte de rêve éveillé provoqué par le soleil que Meursault tue un Arabe. Dans la seconde partie, le procès se heurte à une société absurde. Dans la préface que Camus a écrite pour l'édition américaine de son roman, il déclare : “Bien que (Meursault) soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tacite, l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité”. Passion que contredit le cours ordinaire de la vie. Le Mythe de Sisyphe, qui n'est pas un texte théorique dont L'Etranger serait l'application, approfondit la notion d'absurde. La vie vaut-elle la peine d'être vécue dans un monde sourd à l'absolu et à la vérité ? Le suicide n'est-il pas la solution à cette question ? Repoussant toute transcendance religieuse ou philosophique, Camus demande qu'on vive cependant, mais les yeux fixés sur cette absurdité. C'est là le fondement d'une lucidité qui se traduit par la révolte, la liberté et la passion. L'absurde trouve des prolongements au théâtre. Caligula a appris que les hommes meurent et ne sont pas heureux. Il demande l'impossible, la lune. Le Malentendu soulève la question du langage. C'est faute de trouver les mots justes que meurt le voyageur. La Résistance va apprendre à Camus que l'absurde peut mener à des excès meurtriers. Il faut donc lui trouver un butoir. Si ce monde n'a pas de sens, l'homme du moins en est-il un. “Il est le seul être à exiger d'en avoir un” ( Lettres à un ami allemand, 1944). Au nihilisme s'oppose la révolte. “Je crie que je ne crois à rien et que tout est absurde, mais je ne puis douter de mon cri et il me faut au moins croire à ma protestation”. En se révoltant, l'homme engage par là même la communauté humaine. “Je me révolte donc nous sommes”. La Peste, allégorie du nazisme, définit à travers les prises de position d'un certain nombre de personnages exemplaires des impératifs face au mal : ne pas s'en rendre responsable, secourir, comprendre. L'Etat de siège reprend le même thème à la scène. Les Justes mettent en valeur la responsabilité individuelle. Un homme peut-il en tuer un autre en vue du bien futur de l'humanité ? Débat qui est au centre de L'Homme révolté, ouvrage qui marque de la part de Camus un certain éloignement par rapport à l'existentialisme.

Il s'élève contre la divinisation de l'Histoire. La révolte qui vise à rétablir la justice, si elle dégénère en révolution, la voici qui instaure le terrorisme d'État. Ici, Camus devance les prises de position des “nouveaux philosophes” face aux pouvoirs politiques et aux goulags. A l'époque, L'Homme révolté souleva une violente protestation de la part des progressistes. Camus, touché dans sa sensibilité, s'interroge : est-il la “belle âme” que certains veulent voir en lui ? Une tragédie le déchire à la même époque, la guerre d'Algérie. Il se déclare opposé à une attitude conservatrice ou d'oppression mais aussi à une pure démission. Il finira par se taire, persuadé que toute parole dans une pareille situation prêtera au malentendu. Avec La Chute, il atteint deux objectifs. Ce roman vise les intellectuels de gauche des années 50 dont il dénonce la mauvaise foi, qui instruisent le procès de leur époque pour mieux s'encenser eux-mêmes et montrer ainsi leur belle âme. Cette arme, Camus la retourne ensuite contre lui-même. Toutes les vertus qui firent de l'avocat Jean-Baptiste Clamens un avocat parisien fêté ne sont-elles pas subterfuges hypocrites ? Devenu à Amsterdam “un juge pénitent”, il dénonce le mal universel mais il ne s'exempte pas de le partager. Tout le monde est coupable et cette culpabilité intérieure, nul ne doit l'oublier au moment où il combat le mal. Que Camus ait situé son roman dans les brumes du Nord amplifie encore le climat oppressant du roman. L'Afrique du Nord a toujours été le lieu du monde où, pour Camus, s'opèrent entre l'homme et le cosmos des échanges bénéfiques. Et voici que cet endroit privilégié se voit à son tour contaminé, comme le montre L'Exil et le royaume. Camus, l'homme méditerranéen, l'homme des limites, de la mesure, de l'équilibre, recherche ici, une fois encore, la réintégration de l'homme dans son royaume, qui se situe sur cette terre même. Après les cycles de l'absurde et de la révolte, Camus envisageait de donner le cycle de la mesure. Il se trouvait à cet égard affronté depuis longtemps à une contradiction : l'Histoire est une dimension où l'homme est amené à vivre nécessairement. Pourtant, il ne doit pas s'y perdre. L'œuvre d'art permet de résoudre ce dilemme. “L'art nous ramène ainsi aux origines de la révolte dans la mesure où il tente de donner sa forme à une valeur qui fuit dans le devenir perpétuel, mais que l'artiste pressent et veut ravir à l'Histoire.” On est loin ici d'une esthétique qui correspondait à la période de l'absurde, où l'œuvre d'art n'avait qu'une fonction : fixer la conscience sur un monde mécanique dénué de sens. De L'Homme révolté, de l'article L'Artiste et son temps et du Discours de Suède (1957), se dégage une esthétique humaniste. L'écrivain diagnostique et exorcise les passions meurtrières non plus sur le plan individuel mais sur le plan collectif. L'art corrige le réel sans l'éliminer, il est communicable à tous, donc incitation au dialogue et donc à la liberté. Au-delà du cycle de la mesure, Camus pensait déjà au cycle de l'amour. Etait-ce le roman dont il avait déjà choisi le titre, Le Premier Homme, qui devait l'inaugurer ?

GUY LE CLEC'H

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